Ici passa la Légion !

Rien ne dit mieux l'œuvre de bâtisseur de la Légion étrangère que cette phrase du général Pélissier « Les routes carrossables, les barrages, les ponts, les canaux d’irrigation qui ont changé la face du pays vous sont dus et c’est à vous que le colon reconnaissant saura reporter le mérite de ces grandes œuvres si dignes des légions romaines. A Sidi Bel Abbès, vous avez fait d’un camp une ville florissante, d’une solitude un canton fertile, image de la France. »

 

 

"Ici passa la Légion !" Ainsi pourrait être résumée l’œuvre gigantesque de bâtisseur entreprise par la Légion étrangère au cours des deux derniers siècles, plus particulièrement en Afrique du Nord.

En 1858, après la construction de la route Sétif-Bougie taillée à flanc de montagne, un légionnaire tailleur de pierre avait commencé à sculpter sur la paroi de la falaise une énorme grenade à sept flammes. Des pressions furent exercées pour détruire, au besoin à coup de canon, ce magnifique travail. L’œuvre fut interrompue, mais non détruite. Cette grenade est sans doute la première des nombreuses signatures, qui dans tant de contrées, encore aujourd’hui, scellent l’œuvre du légionnaire bâtisseur qui clame à tous, par la qualité de son travail : « Ici passa la Légion ».

 

« Nous avons marché l’épée dans une main, la pelle dans l’autre »

 

« Nous avons marché l’épée dans une main, la pelle dans l’autre », disait le Maréchal Bugeaud, montrant ainsi à quel point étaient liées dans l’armée d’Afrique, comme dans les Légions romaines, la force qui conquiert, plus d’ailleurs par démonstration que par utilisation, la pelle qui bâtit, et la charrue qui féconde.

Le général Gaultier écrivait : « les légionnaires ne sont pas des êtres parfaits, mais ils ont de solides vertus…  Trois de leurs vertus ou aptitudes surclassent les autres : par l’exercice de la première, ils font d’excellents infirmiers aussi bien pour la troupe que pour les populations voisines… La deuxième relève de leur activité combattante. Elle se manifeste aussi bien au feu que lors des trêves… Les légionnaires sont enfin des pionniers qui découvrent et aménagent des territoires, des bâtisseurs qui construisent villes et ouvrages d’art, et qui ont droit, comme tels, à l’hommage réservé à ceux qui créent. »

 

le Génie n’a cessé d’être présent à la Légion. Car le légionnaire est un soldat, un pionnier et un bâtisseur.

 

Depuis sa création en 1831, la Légion étrangère a ouvert des routes, s’est battue et a construit.

Même si l’accolement des mots Génie et Légion est relativement récent, puisqu’il n’est apparu qu’en 1949 avec la création en Afrique du nord de la 1ère compagnie de Génie-Légion, aussitôt dirigée sur Madagascar, le Génie n’a cessé d’être présent à la Légion. Car le légionnaire est un soldat, un pionnier et un bâtisseur.

A la création de la Légion étrangère en 1831, il est mentionné une « compagnie hors rang » qui comprenait un caporal et quatre sapeurs par bataillon.

En 1833, les légionnaires construisirent en deux mois la chaussée de Boufarik : « on vit sortir du fond des marais infects et souvent impraticables une chaussée élevée de deux mètres au-dessus du sol, bordée de fossés larges et profonds, de deux rangs de peupliers et de fontaines », rapporte le général Bernelle.

Le premier barrage voûté créé en France, retenant les eaux de ruissellement de la Sainte-Victoire, inauguré en 1854, est l’œuvre de l’ancien légionnaire Zola engagé en 1831, revenu à Marseille en 1833 comme ingénieur topographe, et père de l’écrivain.

En 1840, les sapeurs furent bien identifiés avec le tablier, la hache et les gants.

Plus tard, en 1851, le 2ème Etranger fut récompensé pour ses travaux archéologiques de découverte de plus de 40 villes, positions romaines, et postes fortifiés.

 

 

Vous avez fait d’une solitude un canton fertile, image de la France. 

 

Aux légionnaires en partance pour la Crimée, le général Pélissier dira : « Les routes carrossables, les barrages, les ponts, les canaux d’irrigation qui ont changé la face du pays vous sont dus et c’est à vous que le colon reconnaissant saura reporter le mérite de ces grandes œuvres si dignes des légions romaines. A Sidi Bel Abbès, vous avez fait d’un camp une ville florissante, d’une solitude un canton fertile, image de la France. »

En Crimée, 100 légionnaires volontaires placés sous les ordres du sergent-major Valliez ouvrirent la voie aux zouaves en prenant d’assaut la citadelle de Malakoff : les légionnaires pionniers appliquèrent les échelles, les madriers et les ponts flottants sur les obstacles et les murs des bastions russes. Sortant de la tranchée qui fut amenée jusqu’à 25 m des positions de l’ennemi, ils franchirent cet espace battu par le feu, puis le fossé et pénétrèrent les premiers dans l’ouvrage.

Fin 1884, à Tuyen Quang, le sergent du génie Bobillot édifia pendant deux mois les défenses du poste avec les légionnaires. Les Chinois, à cent contre un, traqués jusque sous terre par les légionnaires, n’arrivaient pas à passer. L’assaut dura deux mois, et les Chinois renoncèrent. De nos héros légionnaires, naîtra sous la plume du capitaine de Borelli une des plus belles pages écrite sur la Légion : « A mes hommes qui sont morts ».

En 1920 et 1921, une compagnie de sapeurs pionniers fut créée dans chaque régiment étranger d’infanterie, afin de construire routes, ponts et tunnels. Celle du 3ème Etranger fut mise à l’honneur lors du Centenaire en 1931, en ouvrant la marche en tenue traditionnelle. Le colonel Gaultier, en 1946, rétablira cette tradition oubliée pendant la guerre.

Les pionniers ne participèrent pas à la campagne de la Libération. Quand éclata la guerre d’Indochine, la démobilisation avait privé l’arme du Génie d’une grande partie de ses cadres, et son recrutement se trouva fortement ralenti par les besoins en spécialistes pour la reconstruction civile. Par ailleurs, l’envoi du contingent en Indochine ne fut pas envisagé. Il fallut donc remplacer, et créer. La 40ème compagnie de camions bennes, mise sur pied à Nîmes en septembre 1945 embarqua pour l’Indochine dès janvier 1946. D’autres unités suivirent. En 1952, l’effectif légionnaire servant dans le Génie atteignait 2 400 hommes, mais l’appellation restait « Génie ».

En 1963, le 5ème Régiment mixte du Pacifique vit le jour. L’héritage du 5ème Etranger, la composition et les missions du nouveau corps marquèrent cette double appartenance à la Légion et au Génie. Le 61ème Bataillon mixte Génie-Légion, créé en 1969, fit les travaux du camp de Canjuers. A Djibouti et en Guyane, les compagnies de travaux ou d’équipement ouvrirent et construisirent de nombreuses routes et pistes. On constate ainsi que sur cette période le Génie Légion a été essentiellement tourné vers la mission de pionnier et de bâtisseur. Cent ans après Tuyen Quang, la « sape » s’imposa alors à nouveau à la Légion après l’expérience opérationnelle du Liban qui fit reprendre conscience du danger des mines. Le général Coullon, COMLE, proposa alors la création du 6ème Régiment étranger de génie.

 

 

Aujourd’hui, nos deux régiments étrangers de génie, créés en 1984 et en 1999, partagent avec leurs camarades des autres régiments les traditions du légionnaire, combattant, pionnier et bâtisseur. Par leurs savoir-faire spécifiques de sapeurs, ils font vivre l’héritage de leurs anciens de Malakoff et de Tuyen Quang.

Maniant le fusil, la pioche, la hache ou la truelle, que tous conservent l’amour du travail bien fait, et qu’ils signent leurs œuvres de grenades orgueilleuses sculptées dans la pierre !

 

 Par le Général de division Jean Maurin commandant la Légion étrangère (Képi-blanc Magazine N°799)

| Ref : 552 | Date : 29-05-2017 | 27217