À Sidi-Bel-Abbès, la salle d’honneur et le musée du souvenir étaient conçus comme un véritable temple de la gloire légionnaire. Ils étaient enrichis, campagnes après campagnes, pour l’instruction des jeunes recrues.
Un fascicule de 1962, La vérité sur la Légion étrangère, décrit la place centrale du souvenir dans la formation du légionnaire. Ciment de l’esprit de corps, le souvenir rappelle qui l’on est. En l’acquérant, puisqu’à l’évidence il puise au-delà de la vie d’un seul, puis en l’exerçant, le jeune légionnaire s’approprie le temps passé pour qu’il ne soit plus révolu. N’est-ce pas le sens du cri de guerre, “faire Camerone”, qui se répète si souvent depuis 1863 ?
Avec le souvenir, le légionnaire apprend que le travail de bâtisseur compte autant que le combat, pour conquérir le monde. Il intègre ainsi que, le fusil posé, la pioche l’attend, c’est sa marque. Sidi-Bel-Abbès a été “l’ouvrage de toute sa vie et sa plus grande fierté” (1), le tunnel de Foum Zabel au Maroc est une réalisation, édifiante comme une bataille pour forger l’esprit Légion.
Les batailles, justement, sont autant de points d’appui pour celui qui va entrer dans sa première fournaise. Leur récit, l’engagement des hommes au cœur du combat, créent une ligne de vie puissante entre les générations de légionnaires. Rien d’étonnant que la salle d’honneur et le musée, tout comme le monument aux Morts furent reconstruits à l’identique à Aubagne – la fabrique du légionnaire passe par-là. Ainsi, un tableau des médailles a repris sa place au sein de la salle d’honneur du nouveau quartier Vienot. Il regroupe les décorations de trois sous-officiers d’origine hongroise. L’adjudant Szuts et l’adjudant-chef Valko du 3e REI, l’adjudant Tasnady du 1er REP, se sont engagés à quelques mois d’intervalle en 1945 et sont morts pour la France à 33 ans au cours de la même opération, dans les monts de l’Ouarsenis en mai 1959. À eux trois, ils totalisent 34 citations et 8 blessures pour la France. Ce tableau permet le souvenir. Le souvenir permet la transmission.
La transmission édifie le jeune légionnaire. Le 29 avril dernier, le capitaine (er) Estoup a voulu recevoir son grade de commandeur de la Légion d’honneur devant ce tableau en souvenir de son premier sous-officier adjoint au 1er REP, l’adjudant Tasnady. Poser son regard sur ce tableau vous donne, par un prodige mystérieux, force et humilité. Ce culte du souvenir, je l’ai retrouvé avec surprise, dans un autre temple, sous un autre nom : “notre fl èche du temps”.
Avec deux sous-officiers, certes non hongrois, nous avons été invités à la maison mère du rugby français, à Marcoussis. Le XV de France est en effet en préparation de sa tournée d’automne. Comme chaque regroupement du XV, le défi du sélectionneur et de son staff est immense : créer l’amalgame de joueurs, de clubs différents, à la culture différente, en état de forme très différent. Bref, Marcoussis est le “Bel-air” du XV. En quelques jours, l’esprit de corps d’une équipe, la grammaire du jeu collectif doit être réapprise. De tous les horizons de la planète rugby, des volontaires se regroupent pour servir le même maillot et partir au combat. Vous me voyez venir, le rapprochement XV-Légion tient à cela. Nous apprenons l’un de l’autre, confortant nos recettes. Je n’aurais donc pas dû être surpris de constater la place centrale du souvenir dans ce stage de préparation. La vitrine des trophées vous accueille dès la porte du hall franchie. La coupe du dernier grand chelem 2022 trône évidemment à côté de la coupe Dave Gallaher, marquant la victoire sur les All Black. L’entrée dans le salon d’honneur, nom de la salle de briefing est encore plus parlante. Organisée comme un centre opération, regroupant un carré d’analystes et une zone de projection, cette salle n’a qu’un message affiché au mur : “la flèche du temps”. C’est la mémoire du XV depuis février 2020. 26 panneaux, un pour chacun des 26 matchs internationaux disputés entre février 2020 et le 9 juillet 2022, le dernier, fixent le souvenir. Chaque rencontre est immortalisée par le score, une image forte illustrant le combat, un slogan rappelant l’esprit de cette journée et la mise à l’honneur de l’homme du match. Par exemple : 26 février 2022, Écosse-France, victoire 17-36, 8 ans après…6 essais, le plaisir de marquer, l’homme du match. Des mots même du sélectionneur, cette frise des combats sert à lutter contre l’éphémère du match. Elle prépare la victoire future, forge le souvenir commun et l’esprit d’équipe. À la Légion, la fabrique du légionnaire passe par là, c’est comme ça, à Marcoussis, aussi. En avant le XV !
Général Alain Lardet
Commandant la Légion étrangère
Editorial Képi Blanc - Novembre 2022
(1) Allocution du colonel Vaillant au 1er Étranger, lors de la dernière veillée d'armes à Sidi-Bel-Abbès.