ordre du jour n° 14
du général d’armée Thierry Burkhard
chef d’état-major des armées
Officiers, sous-officiers, caporaux-chefs, caporaux, clairons et légionnaires,
En ce 30 avril, partout à travers le monde, les légionnaires célèbrent l’anniversaire du combat de Camerone. Ce matin, à Aubagne, cette tradition plus que centenaire, constante et profondément ancrée dans l’âme de la Légion, revêt une dimension particulière.
En effet, après deux années de restrictions dues à la pandémie, nous pouvons enfin célébrer Camerone en compagnie de tous ceux qui éprouvent un attachement particulier pour la Légion étrangère. Français, amis, alliés : je les salue et les remercie de leur présence.
Célébrer Camerone, c’est bien sûr se pencher sur ce qui fait la force de l’esprit légionnaire. Cette année 2022 me donne également l’occasion d’évoquer un autre événement, certainement moins marquant pour l’histoire de France, mais ô combien essentiel pour la Légion. Je pense au départ de Sidi Bel Abbès.
Chaque année depuis 1906, le récit de Camerone célèbre le sacrifice des légionnaires du Régiment étranger. Il célèbre les valeurs de la Légion étrangère : l’honneur et la fidélité, mais également le culte de la mission, la fraternité d’armes et l’engagement au service de la France.
Ce récit, que nous allons entendre dans quelques minutes, que nous connaissons si bien, suscitera en nous émotion et recueillement, comme si nous l’entendions pour la première fois…
Pourquoi un tel écho ? Pourquoi, 159 ans plus tard, une telle actualité ?
Cela ne tient assurément pas à une quelconque spécificité. Si le capitaine Danjou et les légionnaires de la 3e compagnie ont écrit l’une des pages les plus glorieuses de l’histoire de la Légion, ils n’ont pas été les premiers à livrer ce genre de combat désespéré – et victorieux, puisque la mission fût accomplie. L’ombre de la bataille des Thermopyles plane ainsi sur l’histoire militaire depuis plus de 2500 ans…
Si Camerone nous touche autant, c’est parce qu’à l’écoute de son récit, chacun, en son for intérieur, perçoit intuitivement la force de cette communion qui unit les combattants – tous les combattants – autour de ce qui est pour nous « l’esprit de Camerone » : un sacrifice, un dépassement, mais aussi une référence, un point de repère et une inspiration.
Cet esprit est indispensable, parce que tout légionnaire sait que dès demain, peut-être, il lui faudra reproduire les actes de bravoure de ses anciens, pour le succès de la mission et l’accomplissement de son destin. C’est de la célébration de Camerone que se nourrissent les forces morales de la Légion, ces forces morales qui lui permettent de ne jamais renoncer et de combattre jusqu’à la fin, jusqu’au dernier s’il le faut et si l’honneur commande.
Si le combat de Camerone nous touche autant, c’est parce qu’il est l’incarnation parfaite de ces vertus auxquelles chaque soldat aspire.
Je salue la présence sur les rangs ce matin de la promotion « Général Caillaud » de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr et de la promotion « Médecin colonel Rondy » de l’École de santé des armées. Élèves-officiers et officiers-élèves, l’exemple de vos parrains vous oblige. Puisez en cet instant une partie de ce supplément d’âme dont vous aurez besoin, le moment venu.
Cette année, nous commémorons également le 60e anniversaire de l’arrivée de la Légion à Aubagne. Début 1962, le Premier étranger recevait en effet l’ordre de quitter l’Algérie pour s’installer en métropole.
Les légionnaires étaient présents depuis 1842 à Sidi Bel Abbès, ville qu’ils ont construite de leurs mains. Mieux encore, à partir de 1933, avec la création du Dépôt commun des régiments étrangers, Sidi Bel Abbès devient de fait la « maison-mère » de la Légion : chaque légionnaire y passe, à l’aube comme au crépuscule d’une carrière au service de la France. Pour la Légion, qui a parcouru le globe, Sidi Bel Abbès n’était pas une simple garnison. C’était le centre du monde légionnaire, le creuset et le lieu où l’on conservait et honorait la mémoire des Anciens, pour le plus grand profit de jeunes légionnaires en quête de repères.
Arrachée à son histoire algérienne, la Légion laisse à Sidi Bel Abbès des souvenirs, des pierres et même les braises d’un feu, qui permirent de brûler le drapeau des Pavillons noirs. Elle laisse tout cela, mais elle emporte la flamme, celle qui brûle dans le coeur de chaque légionnaire et illumine 120 ans d’histoire et de traditions, 120 ans de gloire inscrits dans les plis des drapeaux.
La suite est à l’image de « l’esprit Légion » : en quelques années, les légionnaires transforment ce qui était alors le très austère camp de la Demande d’Aubagne en un nouveau quartier Viénot. Ils tissent des liens forts avec leur nouvelle ville d’adoption, et surtout, ils réinstallent sur place les symboles de l’histoire légionnaire : le monument aux morts devant lequel nous nous tenons, les archives, le musée.
Dans quelques instants, la main du capitaine Danjou remontera la Voie sacrée. Portée par le capitaine Estoup, capitaine du devoir qui a toujours fait le choix de l’honneur ; accompagnée par des légionnaires d’hier et d’aujourd’hui, dont les états de service, les faits d’armes et le courage font écho à l’exemple de Camerone ; escortée enfin, par les Pionniers du Premier étranger, dignes gardiens de « l’indomptable volonté » de leurs Anciens de Foum Zabel.
Cette relique, laïque mais non moins sacrée, concentre tout ce qui fait l’âme légionnaire, et nous l’accompagnerons respectueusement de nos saluts, de nos regards et de notre admiration.
Nous le voyons, le monde s’assombrit et les périls s’accumulent. Plus que jamais, les temps que nous vivons exigent courage, abnégation et dépassement de soi.
Dans les moments difficiles auxquels vous serez confrontés, vous saurez puiser dans l’histoire de la Légion étrangère la force de faire face, à la manière de vos anciens.
More majorum !
Aubagne, le 30 avril 2022