Quelle est la première image qui nous vient à l’esprit quand nous entendons parler de « territoire national » ? Probablement celle d’une patrouille Sentinelle dans les rues de France. Émergent alors des souvenirs et peut-être des interrogations car beaucoup d’entre nous ont déjà réalisé cette mission. N’est-il pas dommage de déployer des bérets verts pour protéger des écoles ou des lieux de culte ? Y a-t-il du sens à réaliser les mêmes missions que la police ou la Gendarmerie nationale ? En somme, la Légion ne serait-elle pas faite que pour les grands horizons, la bagarre et l’aventure, loin de la vieille Europe ?
Chacun s’engage à porter les armes pour des raisons qui lui sont propres mais n’oublions pas notre première mission : défendre la France et les Français. Il nous revient donc, comme soldats, de comprendre le sens de notre engagement sur le territoire national afin d’éviter une triple erreur.
Une erreur d’appréciation historique d’abord. Nous avons peut-être le sentiment qu’un engagement massif de nos armées sur le territoire national serait l’exception. Or, au XXème siècle, la plupart des soldats morts pour la France et de très nombreux légionnaires, ont été tués sur le sol national. Après la chute du mur de Berlin, les armées françaises se sont déployées loin de nos frontières pour se tourner exclusivement vers les opérations extérieures. Voilà en fait l’exception historique ! Les attentats de 2015 ont simplement ramené nos armées à une réalité qu’elles ont toujours connue mais peut-être oubliée : la défense du territoire national commence d’abord sur le sol français.
Une mauvaise compréhension de notre contexte ensuite. A l’heure où de nombreux pays se réarment et où de vieux conflits dégèlent aux portes mêmes de l’Europe, tous nos regards se tournent vers la préparation d’un engagement de haute intensité. A cette dangerosité du monde répond une forme de dangerosité du quotidien à ne surtout pas sous-estimer. Les crises se mondialisent et les malheurs de notre temps traversent les frontières. Il est donc probable que nous soyons, à l’avenir, de plus en plus engagés sur le territoire national. Menaces et risques se cumulent comme rarement nous l’avions connu sur le territoire national ces dernières décennies. En deux ans, se sont additionnées crise sociale avec le mouvement des gilets jaunes, crise sanitaire avec le COVID et crise terroriste avec les attentats de fin 2020. A cela s’ajoute la crise climatique dont les effets se font déjà sentir avec une augmentation des grands feux de forêts, des tempêtes ou des inondations. Effets qui touchent avec d’autant plus d’ampleur nos territoires ultra-marins. Si la menace d’une invasion du territoire national n’est pas d’actualité, une guerre fait déjà rage dans les champs informationnels au travers d’attaques cyber ou de manœuvres d’influence sur les réseaux sociaux. Il suffit de quelques fausses nouvelles diffusées massivement pour semer le trouble, perturber la cohésion de la chaîne de commandement ou faire douter du bien-fondé d’une mission. Avec nos smartphones, nous ouvrons la porte de nos unités à nos adversaires !
Une méconnaissance de la diversité des engagements de nos armées sur le territoire national enfin. Nous réalisons des missions de « sécurité intérieure » comme la lutte contre le terrorisme, la protection de grands événements, de sommets ou de sites sensibles. L’action y est très décentralisée, le comportement d’un seul légionnaire faisant bien souvent toute la différence. Le 1er octobre 2017, en neutralisant un terroriste islamiste sur le parvis de la gare Saint-Charles à Marseille, un réserviste du 1er REG a rappelé le rôle primordial joué par la moindre patrouille Sentinelle. Une équipe de légionnaires à la posture martiale rassure la population, dissuade les terroristes comme la petite délinquance. Elle permet enfin de réagir efficacement en cas d’attaque et de basculer ainsi en « mode guerre » très facilement. Cette capacité de manœuvre et de feu est la seule qui permette de stopper efficacement le périple meurtrier d’un terroriste. Qui dit posture dit commandement, raison pour laquelle Sentinelle est aussi une excellente école pour les jeunes chefs qui doivent savoir prendre des initiatives et basculer d’une situation nominale à la crise.
Mais les missions de « sécurité intérieure » ne s’arrêtent pas là. Nous participons aussi à la lutte contre l’orpaillage illégal en Guyane avec l’opération Harpie. Nos sapeurs légionnaires des sections de fouille opérationnelle spécialisée sont régulièrement engagés pour rechercher des armes ou des munitions dans le cadre d’enquêtes judiciaires.
Nous participons également à des missions de « sécurité civile ». L’armée de Terre intervient régulièrement en assistance à la population sur des catastrophes naturelles ou industrielles. En août 2020, le 2ème REG a été projeté au Liban après l’explosion qui a dévasté le port de Beyrouth. Une telle catastrophe est tout à fait envisageable en France et l’appui des armées pourrait s’avérer nécessaire. En octobre 2020, c’est au tour du 1er REG d’être déployé dans la vallée de la Roya, dans les Alpes-Maritimes, pour porter secours à la population et dégager les routes, après le passage de la tempête Alex. Même si nos régiments de mêlée peuvent être engagés sur des catastrophes naturelles, les sapeurs légionnaires des deux « REG » disposent naturellement de capacités supplémentaires pour intervenir sur ce type de missions. Nos sections de plongeurs et nos embarcations peuvent être engagées sur des inondations. Nos engins de travaux peuvent rétablir des routes encombrées. Chaque section est capable de bûcheronner... L’opération Résilience de lutte contre le COVID s’inscrit, elle-aussi, dans le cadre des missions de « sécurité civile ». Plusieurs régiments de Légion y ont d’ailleurs participé en soulageant directement certains hôpitaux par l’envoi d’auxiliaires sanitaires ou par la protection de sites logistiques.
Les missions sur le territoire national concernent en permanence 10 000 hommes et femmes de nos armées. Elles sont vastes et nobles. Parmi leurs nombreuses vertus, elles développent nos liens avec de nombreux acteurs indispensables à la vie de notre pays et renforcent la bonne image de nos armées auprès de la population. Cette confiance accordée par les Français à ses soldats est un capital inestimable qu’il nous revient de préserver. A nous d’en être à la hauteur.
Colonel François Perrier
Chef de corps du 1er régiment étranger de génie