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La Légion étrangère à New-York

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| 26 Février 2021 | 11428 vues

La tournée de la Légion étrangère de New York à Québec en octobre 1918 ; une étonnante aventure menée par les plus décorés des maréchaux de la Légion dans le but d’obtenir un soutien financier à l’effort de guerre de l’armée américaine, engagée dans le premier conflit mondial depuis avril 1918.

Publié le 26/02/2021 à 08:45 | DRP

L’entrée en guerre des États-Unis ayant été décidée le 6 avril 1917, un premier appel à la générosité du peuple américain pour financer l’effort de guerre en Europe fut lancé. Les deux premiers emprunts passèrent relativement inaperçus et les sommes collectées furent modestes, inférieures à celles espérées. C’est pourquoi lors du troisième emprunt, le Department of State eut l’idée de faire venir de valeureux soldats français.



Défilé de la Légion étrangère à la Nouvelle-Orléans. Les plus observateurs reconnaîtront le légionnaire Zinoview sur le deuxième rang de la première colonne.

Mobilisation de la Légion
Après les chasseurs alpins, les autorités militaires françaises décidèrent d’envoyer aux États-Unis la Légion étrangère. Deux documents nous ont permis de reconstituer l’aventure américaine de la Légion étrangère : tout d’abord, la lecture du compte-rendu officiel de cette mission, le rapport du capitaine Chastenet de Géry qui consigne avec précisions le déroulé des événements et constitue la trame de notre propos. Puis, la traduction récente des écrits du carnet d’Alexandre Zinoview, qui en relatant les étapes parcourues lors du voyage aux États-Unis, établit le baromètre au quotidien de l’état d’âme du légionnaire et livre ses sentiments avec force et vérité.
Le 19 août 1917, le directeur de l’Infanterie, annonce la mobilisation de la Légion. Pour former ce détachement, le Général Cottez, fait appel au 1er régiment étranger, au 2e régiment étranger et au dépôt du Régiment de marche de la Légion étrangère de Lyon. Deux détachements seront formés : un détachement « en armes » pour les parades et défilés, un « sans armes » pour accompagner et surveiller une exposition itinérante de matériel au sein de villes américaines.


Sélection des candidats
Le 1er régiment doit fournir 2 officiers, 5 sous-officiers, 1 caporal et 12 légionnaires. Le 2e régiment doit fournir 1 officier, 3 sous-officiers, 1 caporal et 11 légionnaires. C’est le dépôt du Régiment de marche de la Légion étrangère (RMLE) de Lyon qui envoie le plus de personnel pour cette mission avec 3 officiers, 5 sous-officiers, 3 caporaux et 42 légionnaires. Il faut désormais sélectionner les candidats. Ils doivent être bien notés, décorés et chevronnés, et en plus être capables de défiler parfaitement. Quelques connaissances en langue anglaise seraient appréciées, comme il est indiqué dans la dépêche ministérielle.
L’ensemble du détachement est doté de la tenue de drap kaki adoptée par la Légion à partir de 1915. Quant à la coiffe, on leur remet le bonnet de police kaki. Pour la traversée, l’intendance demande qu’une tenue de toile soit fournie aux légionnaires. Avant le départ, le ministre de la Guerre ordonne de verser 500 francs à chaque officier, 100 francs à chaque sous-officier et 50 francs à chaque légionnaire. Le détachement d’Algérie embarque à Oran le 29 août 1918 pour Port-Vendres et pousse jusqu’à Bordeaux par le train, où ils sont rejoints par le détachement de Lyon. Le capitaine Chastenet de Géry, officier d’envergure, qui suite à une terrible blessure le 27 septembre 1915 en Champagne a subi l’amputation de la jambe droite, prend le commandement du détachement.


« Une compagnie de légionnaires part pour l’Amérique », écrit Zinoview.
Le 8 septembre 1918, les légionnaires partent en ambassadeurs promouvoir la cause de la France aux États-Unis. Parmi eux, figure le 2e classe Zinoview qui dessinera ses camarades, dont les légionnaires Voutaz, Alcayde, Soubiez et le célèbre caporal Arocas qui s’était illustré pendant les combats des Monts de Champagne en avril 1917 et fait chevalier de la Légion d’honneur pour sa bravoure. La traversée dure dix jours. Le 18 septembre 1917, le détachement arrive au large de New York mais ce n’est que le lendemain matin que les légionnaires posent le pied sur la terre ferme d’Amérique.
« Les festivités en notre honneur se sont succédé sans discontinuer. On nous a promenés à travers New York en automobile. Nous avons vu la 40e rue, on nous a photographiés, filmés. On nous hélait de gauche et de droite. Partout des cris et un tonnerre d’applaudissements saluaient notre passage. Quand nous sommes entrés dans un restaurant hier soir, toute la foule s’est levée et a frappé dans les mains. L’orchestre a joué la Marseillaise. »


Sergent Temperli
Du 19 septembre 1917 jusqu’à la fin du voyage, les légionnaires vont parcourir près de 12 000 kilomètres, visiter la Maison Blanche (ils sont reçus en personne par le président Wilson qui veut serrer la main de chaque légionnaire), vont se recueillir sur la tombe de Washington, à Mount Vernon, au cri des « Vive France », partir au Texas, en Louisiane, dans le Tennessee, l’Ohio, la Pennsylvanie... Les hommes sont épuisés, certains attrapent la grippe espagnole.
À Kansas City, le 27 septembre, le sergent Temperli souffrant de fièvre est laissé au Christian Church Hospital où il mourra le 3 octobre. Le 6 octobre 1917, le sergent Temperli eut donc droit à une cérémonie digne d’un général de corps d’armée. Porté sur une prolonge d’artillerie, son cercueil arrive au Colisée de Washington escorté par un régiment au complet et est acclamé par une foule de 12 000 personnes. Après l’office religieux, on le transfère par train à Indianapolis où ses camarades de Légion lui rendent les derniers honneurs au son de la marche de la Légion. Sa dépouille sera enterrée au cimetière d’Arlington.
L’aventure allait se terminer pour nos légionnaires, mais le pays voisin, le Canada, se sentant de reste, organisa à son tour un Victory loan et désira recevoir et acclamer nos braves. Seul le détachement de Lyon va prolonger du 7 au 15 novembre 1917 la mission de propagande en allant à la fois à Montréal et à Québec. Quant au détachement constitué des légionnaires du 1e et 2e régiment étranger, sous les ordres du capitaine Drulang, il embarque à bord du Chicago et arrive à Bordeaux le 18 novembre. La guerre est bien finie.


Commandant Domenech

COMLE/DRP/Musée


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Sources :
Centre de documentation de la Légion étrangère Journal de marche et des opérations du détachement de NY (cote Z 30-Z31 L 19B ).
Quatrième carnet de Zinoview (collection privée P. Carantino).