Dans une conférence sur ce thème, Érik Orsenna éclaire la question de l’éclipse de l’honneur (2) : “Ainsi va l’honneur de nos jours. Méprisé par le cynisme ambiant, il veut se défendre. Quitte à se dégrader lui-même, accepter qu’on baptise de son nom des attitudes qui sont seulement normales… Comment, face au spectacle quotidien de la chasse aux honneurs, garder du respect pour l’honneur ? Comment dans le même mot, séparer le bon grain du singulier de l’ivraie du pluriel ?”
Plus loin, l'académicien nous donne cet éclairage : “L’honneur est ce bien moral conquis dans la lutte et qui permet à la fois d’acquérir la considération d’autrui et de conserver sa propre estime”.
L’honneur est donc pour un homme debout, ou redressé, dira-t-il. Il n’est pas l’oeuvre d’un instant ou d’un coup de tête mais il puise profondément dans l’être. Il est d’une certaine manière, préparé et réfléchi, bien différent de la bravade ou de la coquetterie. Il est “ce fascinant mélange de oui et de non, non à la négation de soi-même et oui aux valeurs qui méritent de risquer sa vie pour elles”.
Comment ne pourrait-il pas être réfléchi ? L’action guidée par l’honneur peut être subite mais pas l’honneur. Il n’est pas du domaine de l’instinct, il se sème, il se cultive au quotidien, il se conserve avec soin. Il est fait d’interrogations, de doutes, de choix sans vainqueur ni vaincu, comme nous l'a montré le commandant Denoix de Saint-Marc. La fidélité à la parole donnée en est souvent une pure expression. “Il se forge dans l’effort et l’adversité” (3).
Bref, l’honneur a besoin de racines pour résister aux tempêtes.
Vous conviendrez alors que l’honneur n’est pas une option pour le soldat. À quoi bon risquer sa vie sans honneur ?
Où apprend-on l’honneur ? Comment développer les racines de l’honneur ?
Auprès des hommes d’honneur ; c’est une transmission, un héritage More Majorum. Partageant la conviction de Jean-René Van Der Plaetsen, la vie des héros est le plus sûr moyen de guérir de “la nostalgie de l’honneur”.
Il me vient à l’esprit l’exemple de cet adjudant-chef, engagé dans un violent combat dans l’Adrar des Ifoghas, au Mali. Son équipier, le sergent-chef Vormezeele est mortellement touché. Son corps inanimé roule 70 m. plus bas. Toujours exposé aux feux de l’ennemi, insuffisamment localisé, l’adjudant-chef a été confronté à “ce fascinant mélange de oui et de non”. On imagine le dilemme, à froid pour nous, sous le feu pour lui. Une dépouille vaut-elle ma propre vie et celle de mes camarades ?
Seule une réponse d’honneur était possible : “Tu n’abandonnes jamais ni tes morts…”.
L’adjudant-chef est alors parti sous le feu, avec un binôme, récupérer la dépouille du sergent-chef. Il a prélevé au passage un peu de terre imprégnée de sang, en pensant, m’a-t-il dit, à la phrase : “Sur la terre imprégnée du sang des légionnaires, le soleil ne se couche jamais”. Il voulait rapporter cette terre, pour la famille.
Cet acte n’était pas irréfléchi, et pourtant quasi réflexe dans l’action, c’est certain. Cet acte était enraciné. C’était un acte d’honneur.
Les racines de l’adjudant-chef et de tous les légionnaires puisent dans le code d’honneur du légionnaire, thème de ce numéro. Pour beaucoup, ce seront leurs premiers mots de français et ce n'est pas un hasard.
Jean-René Van Der Plaetsen, au chapitre Le beau geste, parle de cette “conception de l’honneur que ne peuvent guère comprendre que les aristocrates et les voyous”.
Si le chant Aux légionnaires dit vrai : “...on y trouve des copains d’partout, y en a d’Vienne, y en a d’Montretout, pas ordinaires, des aristos et des marlous qui se sont donnés rendez-vous...”
Alors l’honneur a toute sa place à la Légion étrangère.
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(1) “L’honneur n’est pas à la mode. Il n’y a là rien de très étonnant : dans une époque où le cynisme ou le scepticisme commettent des ravages, nous en avons perdu le sens”. La Nostalgie de l’honneur, Jean-René Van Der Plaetsen, édition Grasset 2017, p. 11.
(2) “L’honneur n’est pas seulement le mérite”.
(3) “Qui est comme Dieu ?” Pierre Gillet, éditions Sainte-Madeleine, p 148.
Général Alain Lardet
Commandant la Légion étrangère
Editorial Képi Blanc Magazine - février 2021