La France a fait le choix, il y a cent quatre-vingt huit ans, de se doter d’une Légion étrangère en vertu d’une ordonnance autorisant des étrangers venant des cinq continents à porter ses armes dès le temps de paix. Ni les fondements ni les grandes lignes n’ont été remis en question depuis. C’est une “exception française” et une disposition unique au monde, intégrée à l'armée de Terre et qui lui est intimement attachée.
Ce qui caractérise par-dessus tout la Légion étrangère, c’est sa cohésion qu’elle affiche devant le chef des Armées et le peuple français, quand, chaque 14 juillet, elle tourne d’un bloc sans se scinder devant la tribune présidentielle. Le sens de cette cohésion n’est pas à prendre comme l’expression insolente de la qualité de la troupe ou de l’autosatisfaction de ses savoir-faire, mais bien comme la garantie que les étrangers qui la composent feront passer leur fidélité au fanion de la Légion et donc, au drapeau français, avant leurs propres intérêts nationaux qui sont aussi variés que les cent quarante sept nationalités présentes aujourd’hui.
Le dossier du mois du Magazine Képi Blanc est consacré aux fondements de cette cohésion, obtenue grâce à un “système” Légion qui repose sur quatre grands piliers : former le légionnaire, instruire le soldat, employer le combattant et accompagner l'ancien.
Troupe combattante, la Légion étrangère sélectionne sans exception ses candidats au recrutement sur les critères sévères de l’infanterie française au plan physique, médical ou psychologique. Une fois sélectionnés, les candidats sont envoyés au 4e Régiment étranger, à Castelnaudary, école et creuset de l'Institution. C’est là qu’ils sauront véritablement s’ils sont vraiment faits pour être légionnaire. La discipline est sévère, les temps libres inexistants, la promiscuité est de mise : il s’agit d’amalgamer ces hommes tellement différents et que parfois tout oppose et de transformer les antagonismes en fraternité d’armes. Regroupés pendant cinq semaines dans une ferme isolée, les futurs légionnaires sont à nu : ils doivent pendant cette période, oublier pays, famille, amis, effets personnels, téléphone mobile et n’ont d’autre choix que de se tourner les uns vers les autres pour surmonter ensemble les efforts individuels et collectifs que l’on attend d’eux et auxquels ils ne sont pas habitués. C’est dans les difficultés et la dureté des premiers pas que prend naissance l’estime de l’autre, quelle que soit sa nationalité ou sa religion, l’amitié et la fraternité d’armes. C’est au terme de cette période en ferme,sous la pression et l’oeil exigeant des instructeurs et après l’épreuve de la marche “képi blanc”, que l’engagé volontaire coiffe le fameux képi, devenant ainsi un légionnaire.
Instruire le soldat, c’est à cela que sont consacrés les trois autres mois d’instruction initiale accomplis par les jeunes légionnaires à Castelnaudary. Cette instruction repose sur trois grands principes : l’égalité des chances, le travail et le mérite. Concentrés sur l’apprentissage du français, les savoirfaire du combattant et les savoir-être du soldat français, ils savent que de leurs résultats dépendra leur affectation dans le régiment de leur choix. C’est là aussi qu’ils apprennent que nulle spécificité nationale dans le style de commandement, la vie quotidienne ou au combat ne viendra prendre le pas sur un enseignement de ces fondamentaux “à la française”.
Concentrés sur l’acquisition des cinq cents premiers mots de français indispensables à leur intégration et à l’exécution des ordres, ils n’ont d’autres choix que l’inlassable répétition des gestes du combattant, les relations désintéressées et l’entraide réciproque pour réaliser et prouver que la force du collectif est supérieure à la somme des individualités. À l’issue de leur instruction et forts de leurs résultats à l’examen final, ils sont aptes à rejoindre une unité de combat dans l’un des huit régiments opérationnels de la Légion.
Ces régiments emploient les légionnaires en tant que combattants au sein d'unités où les plus jeunes sont accueillis par les plus aguerris. À l’amalgame des nationalités succède l’amalgame des générations. Le légionnaire expérimenté guide le novice. Certains d’entre eux, après ce temps incontournable en unité de combat, pourront acquérir une spécialité qui orientera leur carrière mais qui n’en fera jamais définitivement des spécialistes car ils resteront avant tout des combattants : le service de la Légion les amènera à faire de fréquents aller-retour entre les régiments dits du “socle” (1er RE, 4e RE, GRLE), les postes spécialisés et les unités de combat. Au cours de leurs opérations, ils côtoieront leurs frères d’armes de l’armée de Terre et combattront à leurs côtés. En devenant plus anciens et experts, ils effectueront leurs stages aux côtés de leurs camarades français des armées. Durant ce parcours, en fonction de leurs capacités, ils pourront postuler pour les spécialités de combat en milieu extrême : commandos parachutistes ou de montagne, plongeurs, spécialistes d’aide à l’engagement, etc. Toujours disponibles, les légionnaires savent que la France peut avoir besoin d’eux maintenant et tout de suite. L’opération Bonite, à Kolwezi en 1978, est bien ancrée dans la mémoire collective et les départs dans l’urgence n’ont pas manqué depuis.
Enfin, la France reconnaissante du service des légionnaires, leur permet de bénéficier de l’ensemble de la structure du Foyer d’entraide de la Légion étrangère. Ce dernier exerce au quotidien une solidarité active au profit de tous les militaires, jeunes ou anciens, servant ou ayant servi sous le statut à titre étranger. L’Institution des invalides de la Légion étrangère, à Puyloubier, en est la pierre angulaire.
Général de brigade Denis Mistral,
commandant la Légion étrangère
(Editorial du magazine Képi-blanc N° 825)