Chaque année, dans les jours qui précédent la commémoration du combat de Camerone, nous nous réunissons pour faire une veillée. Ce moment ne doit pas être vu comme un énième instant de cohésion ou l’on se retrouve pour boire un coup et chanter des chants légions. C’est un moment privilégié pour réfléchir au sens de cette commémoration et pour échanger sur ce que représente pour chacun d’entre nous l’esprit de Camerone, la notion d’esprit de sacrifice. Cet esprit de sacrifice qui a permis aux hommes du capitaine Danjou de remplir la mission qui leur avait été confié.
Face à une mort probable, les légionnaires de la troisième compagnie du régiment étranger ont prêté serment de fidélité. Et lorsque le capitaine Dannjou tombe au milieu d'eux, en exemple, il force l'admiration. Il est immédiatement remplacé par le sous-lieutenant Vilain qui tombera à son tour. L'héroïsme des légionnaires est édifiant jusqu'au dernier geste. Sous l'impulsion de leurs chefs, ils ont fait leur devoir avec une totale abnégation, dans l'acceptation du sacrifice.
Rappelons-nous l’origine de la commémoration du combat de Camerone. Ce n’est que le 30 avril 1906, soit 43 ans plus tard, que fut célébré pour la 1re fois l’anniversaire du combat de Camerone, au poste de Ta-Lung (Tonkin) tenu par 120 légionnaires commandés par le lieutenant François. Ayant appris que le drapeau du 1er Étranger avait reçu la croix de la Légion d’honneur, deux jours avant à Sidi-Bel-Abbès, le lieutenant François fit pavoiser le poste et décorer de feuillages le casernement et organisa une prise d’armes. Il passa lentement en revue le détachement pour marquer la solennité de ce jour extraordinaire. Connaissant l’histoire de son régiment, il parla à ses légionnaires avec des mots simples compris de tous pour exalter devant eux la signification de la décoration du drapeau. Ayant auparavant écouté avec attention les témoignages des anciens légionnaires ayant combattu au Mexique, de mémoire, il fit à son détachement le récit du combat de Camerone. Puis il demanda à ses légionnaires de ne jamais oublier l’exemple de leurs anciens, et de savoir, comme eux, quand il le faudra, mourir pour l’honneur du drapeau. Quand il eut terminé, il tira son sabre et fit présenter les armes au drapeau chevalier de la Légion d’honneur, comme s’il avait été là devant eux. La tradition se répandit et fût officialisée en 1936 à Sidi-Bel-Abbès avec la première présentation de la main du capitaine DANJOU. Elle fût codifiée telle que nous la connaissons aujourd’hui en 1947 par le colonel Gaultier.
Ce combat nous rappelle que la mission est sacrée. Il marque le début d’une longue et héroïque kyrielle de faits d’armes qui ont forgés l’histoire de la Légion étrangère. L’héroïsme à la Légion n’a pas commencé et ne s’est pas terminé à Camerone. Pour mémoire :
Dans les environs de Maison-Carrée, à l’Est d’Alger, une tribu rebelle s’agite une nouvelle fois. Une colonne, sous les ordres du commandant Salomon de Mussis, comprenant 27 légionnaires commandés par le lieutenant Châm et 25 chasseurs d’Afrique, patrouille dans la région. Le commandant pousse une reconnaissance avec les chasseurs et laisse les légionnaires au bivouac en réserve. Le commandant Salomon de Mussis et les 25 chasseurs d’Afrique sont attaqués par 75 cavaliers arabes. Le commandant décide de se replier mais lui et ses hommes sont rapidement submergés. Les voyant arriver, un légionnaire donne l’alerte. Le lieutenant CHÂM décide d’appuyer la retraite de ses frères d’arme. le petit détachement de légionnaire va défendre jusqu’à la mort sa position et permettre ainsi au chasseurs de rejoindre la garnison. Leurs cadavres sont retrouvés affreusement mutilés. Le lieutenant Châm est le premier officier de Légion mort au combat.
Fin novembre 1884, 12 000 combattants chinois (réguliers et Pavillons noirs), sont rassemblés à moins de 10 km de Tuyen Quang. La garnison de 598 hommes est composée majoritairement des 1re et 2e compagnie 1er bataillon du 1er Etranger (390 hommes dont 8 officiers), commandées par le capitaine Cattelin. Jusqu’à janvier 1885, les forces chinoises resserrent le siège. Les hostilités sérieuses débutent le 26 janvier. La ligne de défense des Tonkinois est attaquée ; le village annamite incendié ; les habitants se réfugient dans la citadelle. Un millier de Chinois se lancent à l’assaut. Les légionnaires du blockhaus, sous les ordres du sergent Lebon, repoussent plusieurs assauts. Le 28 janvier, les Chinois ne sont plus qu’à 100m de l’édifice. Pendant plus de 30 jours, ce sera un bombardement continu.
Le 2 mars la colonne de renfort, en tête de laquelle marchent les deux autres compagnies du 1er Bataillon (commandées par le capitaine Frauger) accroche les Chinois à Hoa Moc, à 8 km de la citadelle. Le matin du 3, jour où la garnison est débloquée par les renforts, le légionnaire Thiébald Streibler (alsacien natif de Mertzwiller) reçoit la dernière balle mortelle, en s’interposant entre des Chinois retranchés dans l’ultime casemate tenue et le vicomte Emmanuel de Borelli, commandant la 1re compagnie. Ce dernier, dédia à Streibler ce superbe poème : "A mes hommes qui sont morts".
Le 5 février 1943, la 2e compagnie du 1er bataillon du 1er régiment étranger est engagée dans le djebel Mansour. Elle résiste sur ses trois points d’appui. A un moment les légionnaires sont débordés sous le poids du nombre des Allemands. Comme à Camerone, les légionnaires tombent tous les uns après les autres et la compagnie va être anéantie.
Grâce au sacrifice du sergent Khalen, fils du célèbre adjudant-chef, qui, bien que grièvement blessé, tient en respect l’ennemi qui forme à 30m un demi-cercle autour de lui, un adjudant-chef, dix légionnaires et quinze blessés dont le commandant d’unité réussissent a évacuer la position envahie. Quand il est tué d’une balle dans la tête, le sergent Khalen a brûlé 8 000 cartouches et changé trois fois le canon de son arme.
Le sacrifice de milliers d’hommes qui ne fait que retarder un peu plus l’inexorable. Pourtant, les légionnaires ne renoncent pas. Dans l’impossibilité d’être relevés, ils manifestent un courage, une combativité et une résistance inhumaine. Ils n’ont de cesse que de tenter des contre-attaques sur les collines désormais fermement tenues par « les Viets ». Ils n’ont aucune chance de réussir et pourtant ils montent à l’assaut avec une bravoure incroyable. A l’arme blanche, à la grenade, ils engagent les soldats Viêt Minh au corps à corps.
Dans les postes de secours qui ne sont plus que des mouroirs sanglants où l’on manque de tout, les chirurgiens opèrent sans moyens. Plus d’anesthésiants, plus de bandages, plus rien… Les officiers en appellent malgré tout à toutes les bonnes volontés pour continuer la résistance. Et beaucoup de blessés retournent au combat. Partout dans les positions, les actes d’héroïsme se multiplient. Des actions d’anonymes, légionnaires, sous-officiers ou officiers, qui se sacrifient jusqu’à leur dernier souffle. Ils ne se battent plus pour Dien Bien Phu. Ils se battent pour leur honneur.
Des centaines de légionnaires, sachant pertinemment que la situation à Dien Bien Phu est désespérée, se portent volontaire pour être largué auprès de leurs frères d’arme Ils n’ont jamais sauté en parachute. Ce sera leur premier et dernier saut, la plupart du temps la nuit, dans la fureur des explosions et des balles traçantes. Ils n’ont aucune illusion. Ils savent pertinemment qu’ils vont au sacrifice. Beaucoup n’atteindront même pas le sol vivant… D’autres atterrissent directement dans les lignes Viêt Minh. Depuis longtemps déjà, les positions Viêt Minh sont trop resserrées et une grande partie du ravitaillement français tombe dans les mains ennemies.
Nous pourrions passer la soirée à citer des exemples ou la légion s’est couverte de gloire. L’esprit de sacrifice n’est pas que dans les combats, il se vit au quotidien, lorsque, comme nous, le choix d’une vocation devient celui d’une vie.
L’esprit de sacrifice pour un militaire conduit très vite, sous l’expression « sacrifice suprême », au consentement à risquer et à perdre sa vie au combat. L’idée supposé conduirait plutôt à comprendre « offrir sa vie » ou « donner sa vie », ce qui redonne une dimension plus positive à la notion de sacrifice, même si les conséquences peuvent être tout aussi absolues et tragiques. L’esprit de sacrifice c’est avant tout la disposition à renoncer à ses propres intérêts au bénéfice d’autrui. C’est en quelque sorte le contraire de l’égoïsme. Cet état d’esprit pousse à faire passer ses propres sentiments et préférences après ceux des autres et de l’institution. Ils impliquent aussi un savoir être et une disponibilité personnelle pesant lourdement sur nos vies et celles de nos familles.
Ainsi, la notion d’esprit de sacrifice ne saurait se réduire au consentement, à la perspective de perdre sa vie au combat. Nous ne pouvons pas adopter ce métier des armes, et surtout y persévérer, simplement pour gagner notre vie. Nous nous devons, ultimement, d’être habités par la volonté d’œuvrer pour l’autre et d’y consacrer nos forces. Cela implique une forte conviction, un engagement résolu, une solidarité sans faille.
L'esprit de sacrifice se retrouve dans le code d'honneur du légionnaire. Il offre des repères et inspire toute la pédagogie interne à la légion étrangère. Aujourd'hui comme hier, cet esprit nous aide à atteindre des résultats incontestables quel que soit la mission et doit nous guider dans notre quotidien.
Par le lieutenant Philippe Soille
Camerone 2018