Denis Tillinac a commis une conférence dans les murs de la Légion étrangère. Il avait promis, lorsqu’il était venu à Aubagne pour la commémoration de la bataille de Camerone, qu’il reviendrait se plonger dans ce décor qui avait ensoleillé son imaginaire depuis longtemps. Le fol héroïsme des légionnaires, la liturgie de l’honneur, de la fidélité, de la bravoure ou de l’oubli de soi, tout autant que l’esprit de famille, illustraient pour lui toutes les vertus cardinales qu’il voyait s’effeuiller avec nostalgie dans l’automne d’une civilisation fatiguée. Il était heureux de retrouver tout cela intact dans les rangs de la Légion, parfaitement entretenu, en ordre de marche. Lui qui a encore envie de rêver d’une France un peu idéale, il se trouvait là, calé dans un réel rassurant dans lequel s’animaient ses rêves de grandeur.
Denis Tillinac est donc venu parler de l’âme française, devant les légionnaires de la « Maison Mère », devant ces étrangers au service de la France. Il a parlé d’occident, de culture, d’identité française, de sa déclinaison corrézienne, gasconne ou bretonne, de paysages sculptés, de clocher de village, de notre manière de nous voir et de la façon dont nous sommes perçus. Il nous a parlé d’héritage, d’histoire, de légendes, constitutifs de ce que nous sommes. Il nous a interpellés sur « qu’est-ce que la France ? », ce carrefour faisant se côtoyer méditerranéens et océaniques… pays hexagone aux frontières multiples… pays étoile rayonnant à partir de Paris…
Dans la grande salle du Château de la Demande du quartier Viènot, le public en treillis camouflé était captivé par ce défilé d’images tumultueuses et valeureuses. Dans la pénombre, Denis Tillinac avait la verve d’un cadet lorsqu’il poursuivait en affirmant, poing sur le pupitre, que la France n’était pas n’importe où ! Qu’elle n’était pas n’importe qui ! Ni fragment d’un tout, ni sortie de la cuisse de Jupiter. Née des noces intimes entre l’église romaine et les rois français, entre le curé et l’instituteur, elle avait quinze siècles d’histoire-géographie autour d’une langue, d’une esthétique, de références, partagées… socle commun écorché d’ambivalences querelleuses et de controverses gourmandes. Vouloir la réduire à un fragment, fusse-t-il de l’Europe, était bien mal connaitre le peuple Français.
Car ce peuple de paysans reste farouchement attaché aux bocages ancestraux, aux amitiés et aux amours des hectares mitoyens, aux références partagées. Ces paysans, devenus quelque fois citadins, gardent la terre dans leur mémoire reptilienne et se souviennent du goût du terroir, de son vin, de ses chasses, et de ces belles femmes que l’on courtise gaillardement la main sur le cœur, les yeux perdus dans les jupes légères. Le français est indécrottable, il aime sa terre et ce qu’elle porte. Le paysan, même celui en bleu de chauffe que l’on appelait il n’y a pas si longtemps encore « ouvrier », garde d’ailleurs toujours une petite haine, une grande méfiance, vis-à-vis de cette Machine étatique, centralisée, hautaine et impersonnelle qui lui vend du multichose et du pluritruc.
L’esprit de révolte n’est jamais loin dans la grogne de la rue, elle naît dans sa nostalgie de l’angelus de Millet autant que dans la peur du chaos infertile, ou dans la volonté farouche de ne pas perdre le goût de la grandeur. L’Etat de la dépossession, de la repentance, du dénigrement, ne peut s’enraciner sur ce terreau. L’appel au rassemblement de la tripe républicaine, du cœur monarchiste et du muscle bonapartiste, qui cohabitent dans chaque Français, ne pourra se réaliser que dans l’impulsion d’un grand homme providentiel, une figure héroïque aux convictions fermes. Le Français rêve et craint le pouvoir fort – le clivage profond des Français est dans cette cohabitation douloureuse et inévitable - mais il ne veut pas d’un président normal, d’un touriste de DisneyLand, ou d’un mandarin interlope, qui viendrait à régner en despote sur un pays défiguré, dépigmenté, déraciné. Le Français veut un César accompagné d'une épaule féminine, un Napoléon parlant aux soudards comme aux rois. Quelqu’un qui lui dise que la France n’est pas un fragment, mais un tout. Un tout cohérent, solide. Un bloc constitué qui invoque Chateaubriand, la Duchesse de Chevreuse, d'Artagnan, Cyrano de Bergerac, Bayard, Arsène Lupin, Jeanne d'Arc.
Denis Tillinac s’est battu comme un diable pour faire passer son frisson de la France. Il y est allé au fleuret, au sabre, au goupillon et a terminé à la grenade. A la fin il a touché ! Un sous-officier d’origine anglaise se lève et dit « Merci la France ! »
Par le Lieutenant-colonel Jean-Philippe Bourban
rayonnement & patrimoine
commandement de la Légion étrangère