« Bonjour général, je me permets de vous aborder. Je ne serai pas long et je ne veux pas vous déranger. Pour mon père, bien que non légionnaire, la Légion était tout. Il lui portait une vénération depuis qu’il avait rencontré des légionnaires en Algérie. Les récits les plus extravagants ont bercé notre enfance. Je voulais vous le dire car depuis, cette passion de la légion s’est transmise. On ne loupe jamais un Camerone” »
C’était samedi dernier lors de la fête annuelle de la branche française de l’Ordre souverain de Saint-Jean-de-Jérusalem, de Rhodes et de Malte avec qui la Légion entretient des échanges fructueux depuis 1994 et l’opération Turquoise. Participant pour la première fois à la Saint Jean Baptiste1, plusieurs aspects de cet ordre militaire et hospitalier m’ont marqué, dont la force d’une institution riche de sa vocation, de ses traditions et de son histoire quasi millénaire. Le “ici c’est comme ça”, cher au général Dary, aurait pu être le sous-titre des frontons des salles des croisades du château de Versailles, accueillant traditionnellement la célébration. Du haut de ces salles d’art, mille ans d’histoire vous contemplent ! Une petite fille lisait sous un tableau majestueux2 ; difficile de savoir si la bande dessinée était sur ses genoux ou sur les murs. Quel merveilleux endroit pour mesurer la profondeur de l’Histoire. L’admission des nouveaux chevaliers de l’ordre se fait dans cette salle face à la porte de l’hôpital de Rhodes, relique vivante d’une période glorieuse et symbole d’un fait d’armes mémorable en 1523. Les chevaliers à la croix blanche aux huit pointes ne furent pas défaits par Soliman. Après six mois de siège à un contre cinquante, ce dernier fut levé et le Sultan permit l’évacuation des survivants avec reliques, armes et trésors.
Les nouveaux légionnaires reçoivent leur premier contrat dans la salle d’honneur du quartier Viénot devant la relique de la main du capitaine Danjou. Juste après, la visite du Musée leur donne ce premier air ambiant de leur nouvelle patrie, la Légion. Ils parcourront les salles faites d’objets militaires, d’uniformes, de tableaux et de gloire, sans mesurer totalement le principe vital de ces premières respirations, mais l’esprit passe. La Légion use donc aussi, d’un lieu mémoriel pour illustrer les principes de l’Institution et sa profondeur historique. Ainsi s’amorce l’éducation des recrues.
L’analogie ne s’arrête pas là. L’entrée dans l’Ordre de Saint Jean n’est pas un droit, mais se sollicite. L’Ordre donne un asile au volontaire qui veut servir. Un vieux règlement précise “qu’aucune fausse identité n’est permise, sous peine de renvoi, à moins qu’un pseudonyme n’ait été choisi d’un commun accord pour des raisons de décence ou de pressantes considérations”. Nous appelons cela, la seconde chance.
Enfin et j’en reviens à ma rencontre avec cette “fan de la Légion étrangère” pour illustrer un autre parallèle, l’Ordre de Malte allie une solide fraternité à une noble vocation, le service de l’humanité et particulièrement du pauvre. Il suscite ainsi un élan de bénévoles qui lui permet d’assurer ses missions. La joie de servir et la fierté d’appartenir à un corps riche, de son histoire et de son identité, permettent cet engouement et cette générosité.
La Légion suscite assez naturellement ce volontariat au service désintéressé, certainement pour des causes similaires. L’esprit de corps est contagieux. Combien de fois avons-nous entendu, nous les membres de la Légion, ces simples mots de soutien suscités par la rencontre d’un ancien, d’un grand-père, d’un ami proche ou moins proche. Les mots de cette femme ne visaient rien d’autre que de partager avec le “Père Légion” cette amitié profonde pour un corps, hors du commun. Cette profonde admiration suffisait à la sortir de sa réserve.
Sortons notre réserve alors et parlons-en ! C’est l’objet de ce Képi blanc : la réserve à la Légion. La réserve est en terme tactique, une condition de la victoire. En terme viticole et légionnaire, la réserve du général est le top du nectar de Puyloubier. Au quotidien, il est facile d’étendre cette clé de succès à nos réservistes opérationnels ou citoyens. Les quelques exemples de ce numéro sont éloquents et combien d’autres pourraient compléter ce tableau d’honneur. Si l’attractivité de la Légion étrangère est puissante, la Légion vit aujourd’hui de ces générosités et de ces compétences externes : œnologues, juristes, architectes, notaires, chefs d’entreprise, directeurs de travaux, professeurs, journalistes…
Est-ce à dire que tout va bien ? Au hasard d’une visite régimentaire, j’ai découvert un réserviste citoyen, affecté depuis six ans à l’état-major du COMLE et semble-t-il assez peu employé. L’axe de progrès existe toujours : sortons nos réservistes de leur réserve naturelle, profitons pleinement de leurs talents et de leurs expertises. En avant toujours en avant.
1 le saint patron de l’O rdre de Malte
2 La remise de Saint Jean d’Acre à Philippe Auguste et à Richard Cœur de Lion en 1191
Général Alain Lardet
Commandant la Légion étrangère
Editorial Képi Blanc - Juillet
| Ref : 773 | Date : 05-07-2022 | 9020