Ce numéro offre d'ailleurs quelques bonus en réalité augmentée !
Et si parfois l’avant-garde se trouvait à l’arrière ? C’est manifestement une des leçons de Camerone. Les légionnaires du colonel Jeanningros étaient sur les arrières et non au siège de Puebla, comme le chevalier Roland au col de Roncevaux. Que ce soit par la chanson ou par le chant du Boudin, ce sont ces hommes de l’arrière-garde qui nous guident aujourd’hui. “Pero, non son hombres, son demonios”, s’est écrié le colonel Milan.
Avant de poursuivre sur notre sujet, et puisque j’évoque Camerone, je tiens ici à remercier les légionnaires du 1er Régiment étranger sous les ordres de leur chef de corps, le colonel de Peretti. Le retour à un “grand Camerone”, après deux ans de mise en sommeil, n’était pas si facile. J’ai pu observer et admirer la ruche que représente la maison-mère dans les semaines de préparation : les convois pour les tribunes, le montage de la kermesse, les plans de transport d’autorités, les répétitions de prise d’armes, le dispositif de sécurité et d’accueil, la préparation des lunchs, la mise en ordre du quartier, sans oublier et sans être exhaustif, le montage de l’exposition temporaire du musée “de Sidi Bel Abbès à Aubagne”. À ce propos, je vous invite à visiter cette formidable exposition qui vous immergera dans la ville légionnaire. Les pièces d’époques sont émouvantes. Vous pourrez vous accouder au bar du foyer du légionnaire, y rencontrer Édith Piaf et Marcel Cerdan, bel-abbésiens. Vous aurez aussi l’occasion, pour ainsi dire, de participer au colisage qui nous a transportés jusqu’à Aubagne, la nouvelle ville de la Légion. Bref, bravo à tous pour ce beau Camerone qui a fait vivre avec brio nos traditions.
Cette digression n’est pas sans rapport avec le thème de ce numéro de Képi Blanc, “À l’avant-garde”.
Où se trouve l’avant-garde ? Je me risque, là encore en convoquant nos anciens, à mettre en garde sur une fuite en avant, peut-être dans l’air du temps. Pour une troupe d’assaut, être d’avant-garde ne signifie pas rechercher une posture avant-gardiste. Célébrer chaque année un combat vieux de bientôt cent soixante ans est-il avant-gardiste ?
Notre seule boussole est l’efficacité opérationnelle et l’innovation en est souvent un excellent moteur. S’appliquant à tous les domaines de la vie militaire, l’imagination est au cœur de la victoire future. Ce fut l’imagination du colonel de Négrier qui permit la création en 1881, de la première section montée couplant légionnaires et mulets. Par la suite cette innovation d’un mulet pour deux légionnaires, redonna, l’endurance et la vélocité au pays de la soif du Sud oranais et en définitive l’effet de surprise. Pour autant, la nouveauté n’est pas le bon critère d’un esprit d’avant-garde.
Le colonel Joseph Bernelle a cet esprit lorsqu’il décrète en 1835, nouveauté révolutionnaire, l’amalgame dans la composition des bataillons de Légion étrangère, jusqu’alors nationaux. Mêlant compétences et nationalités, cet amalgame est devenu un pilier de notre Légion. Aujourd’hui, sans une once de nouveauté, cet amalgame, condition première d’une intégration réussie, est toujours d’avant-garde.
Il faut donc chercher ailleurs que dans la nouveauté effrénée, le critère principal pour se situer “en avant-garde”. Faire ce qui n’a jamais été fait, aller là où les autres ne vont pas n’est pas le critère premier de la recherche de l’efficacité opérationnelle, mais une conséquence régulière. Grandeur et fierté font des hommes forts et une troupe forte. Ce sont les critères de l’avant-garde. Il s’agit donc, pour notre Institution, de développer notre esprit de corps. Je terminerai par une réflexion glanée dans un billet de monseigneur Macaire, Archevêque de Saint-Pierre et Fort-de-France.
“Un homme racontait : mon grand-père marchait 16 km, mon père en faisait 8, moi je roule en Cadillac, mon fil est en Mercédès et mon petit-fils sera en Ferrari…mais mon arrière-petit-fils marchera de nouveau. Pourquoi ? Parce que les temps difficiles font des hommes forts, les hommes forts créent des temps faciles, les temps faciles font des hommes faibles et les hommes faibles créent des temps difficiles”. Soyons grands et fiers, alors nous serons forts comme les légionnaires de la compagnie Danjou, à l’avant ou à l’arrière-garde : “non son hombres”.
Général Alain Lardet
Commandant la Légion étrangère
Editorial Képi Blanc Magazine - Avril 2022
| Ref : 769 | Date : 05-05-2022 | 11065