Le Maréchal Soult, ministre de la Guerre est chargé de réorganiser l’armée de ligne par le roi Louis-Philippe
Les Libéraux qui portent Louis-Philippe au pouvoir par la révolution de Juillet[i] obtiennent que le roi stipule dans la Charte constitutionnelle « qu’aucune troupe étrangère ne pourra être mise au service de l’État qu’en vertu d’une loi » (article 13). Mais, très vite, le manque de troupes inquiète au plus haut sommet du royaume[ii] et l’envoi de renforts, pour assurer la présence française en Afrique du Nord, presse. Devant l’urgence de la situation, les parlementaires étudient la possibilité d’appeler 80 000 hommes de la classe 1830, mais la complexité du système bloque toute entreprise d’envergure…
Le roi est devant une situation intérieure compliquée : une crise sociale et politique couve depuis l’automne 1830 et, à la suite des révolutions belge (25 août 1830) et polonaise (29 novembre 1830), l’afflux inhabituel d’étrangers se fait ressentir à Paris (jusqu’à 10 % d’une population de 785 000 habitants). Le grand nombre d’anciens officiers, leaders potentiels dans ce magma de réfugiés, interpelle de nombreux parlementaires, d’autant que des émeutes éclatent un peu partout dans Paris, et notamment le 14 février 1831 en l’église de Saint-Germain-l’Auxerrois. Il est urgent d’agir !
Louis-Philippe, inquiet de ne pouvoir s’appuyer que sur la Garde nationale pour maintenir l’ordre public, attend des propositions fortes de la part de Soult, son ministre de la Guerre. Le maréchal est chargé de réorganiser l’armée de ligne. Il rédige alors un rapport au roi dans lequel il critique la loi Gouvion-Saint-Cyr de 1818 sur le recrutement. Il démontre que le système de volontariat combiné au tirage au sort et à la possibilité de se faire remplacer n’a pas permis d’augmenter suffisamment les effectifs, et montre que les procédures d’avancement contribuent à maintenir le « surencadrement ». Les lignes directrices de son projet sont arrêtées fin février 1831 et les moyens précisés : doubler l’effectif de l’armée de la Restauration, qui ne comptait qu’un peu plus de 200 000 hommes.
Cette situation délicate milite pour la création d’une « légion d’étrangers ». Un projet de loi est déposé à la Chambre le 4 février 1831 et la discussion par les députés commence le 12 du même mois. Le 1er mars, c’est au tour de la Chambre des Pairs (chambre haute du parlement) d’examiner le texte présenté par le maréchal Soult. Ce dernier donne des assurances sur l’emploi de cette légion d’étrangers dont la mise sur pied est envisagée deux mois après le licenciement de la légion de Hohenlohe (ordonnance du 5 janvier 1831). Dans les deux assemblées, les débats mettent en lumière l’enjeu premier de cette création qui divise l’opinion éclairée sur le fond : canaliser l’afflux des réfugiés étrangers pour assurer la tranquillité publique, et assumer le poids des dépenses engagées pour leur porter secours.
Le rapporteur de la commission de la chambre basse n’avait-il pas conclu son exposé du 12 février en insistant sur « les considérations d’humanité, d’ordre public et d’économie » qui avaient inspiré les rédacteurs du projet gouvernemental ? Rassurés sur les intentions du ministre, pairs et députés, soulagés de pouvoir se débarrasser de cette population « dangereuse » et de réduire les dépenses consacrées à son secours, approuvent le projet dans une belle unanimité. La solution militaire rallie tous les suffrages : ceux du gouvernement, du haut commandement, comme du Parlement.
Lors de la séance du 5 mars 1831, la Chambre des Députés vote le texte, amendé par les pairs, et permet la formation d’une « légion composée d’étrangers ». La loi est promulguée le 9 mars par Louis-Philippe. La « légion d’étrangers (…) ne pourra être employée que hors du territoire continental du royaume » (article premier). Une instruction du 18 mars ajoute qu’aucun Français ne sera admis dans cette légion, à moins d’une autorisation spéciale du ministre de la Guerre.
Ordonnance du 10 mars 1831
Dès sa création, la Légion étrangère ouvre des postes de recrutement disséminés sur le territoire en fonction de la nationalité des candidats[iii]. Strasbourg, Metz et Lille reçoivent les engagements pour trois ans des volontaires d’Allemagne, de Belgique et de Hollande, tandis que ceux de Suisse sont reçus à Auxerre et Besançon. Les Espagnols et Portugais se rendent à Agen, Périgueux ou Bourges, les Polonais à Valenciennes et les Italiens à Mâcon. Tous ces engagés sont ensuite dirigés vers les dépôts en charge de la formation des bataillons nationaux. Les trois premiers bataillons, allemands, sont regroupés dans un premier temps sur Langres puis à Bar-le-Duc. Le 4e bataillon, espagnol, attendra, pour des raisons politiques, l’année 1834 pour être formé. Son numéro est donc pris par le bataillon polonais qui était le 7e au début de la mise en œuvre du dispositif. Le 5e est italien et le 6e est destiné aux Belges et Hollandais. Les Français souhaitant rejoindre la Légion doivent s’adresser à un maire ou à un sous-intendant pour signer un acte d’engagement. Toulon devient alors le dépôt principal de la Légion et le lieu d’embarquement des unités constituées et des renforts pour l’Afrique du Nord. Ici, les engagés sont habillés, armés et reçoivent les premières bribes d’instruction militaire.
Les historiens militaires retiennent les conditions très particulières de la création de ce corps militaire par l’État dont les préoccupations, une fois encore, étaient de pallier, dans l’urgence, les insuffisances d’un système militaire défaillant, et de résoudre un problème de sécurité publique. Alors même que des députés avaient émis le vœu que cette unité soit dissoute au terme de vingt-deux mois d’existence, alors que les menaces de suppression n’ont pas cessé depuis de peser sur son maintien au sein de l’armée française, l’histoire semble avoir donné raison aux inspirateurs de l’ordonnance du 10 mars 1831. C’est ainsi, qu’à part quelques modifications dues aux changements de régime et de législation, la Légion poursuit son chemin au service de la France, depuis maintenant 190 ans.
Major Frédéric AMBROSINO,
COMLE/DRP/centre de documentation et de recherches historiques de la Légion étrangère
[1] Cette révolution porte sur le trône un nouveau Roi, Louis-Philippe 1er, à la tête d’un nouveau régime, la monarchie de Juillet, qui succède à la Seconde restauration. Cette révolution se déroule sur trois journées, les 27, 28 et 29 juillet 1830, dites « Trois glorieuses ».
[2] Après la Révolution de 1789, sur les 150 000 hommes de troupe dont dispose le gouvernement, près du tiers est étranger. Par la suite, des légions batave, italique, liégeoise ou irlandaise voient le jour. À l’issue de la dissolution des armées impériales, la Restauration forme, en 1816, la Légion royale étrangère baptisée du nom de son chef, Hohenlohe. Ces troupes seront dissoutes à l’issue de la révolution de 1830.
[3] Le principe retenu est donc une Légion « par nationalité ». Il faudra attendre 1835 pour que le principe dit de « l’amalgame » soit mis en place par le colonel Bernelle. À partir de cette date, les bataillons deviennent « mixtes » en termes de nationalité et groupe linguistique, favorisant l’esprit de corps.
Bibliographie :
La Légion étrangère d’André-Paul COMOR (collection Que sais-je ?), PUF, 1992.
Monsieur légionnaire du général HALLO, Charles-Lavauzelle, 1994.
La Légion étrangère, histoire et dictionnaire, Robert Laffont, 2013.
| Ref : 727 | Date : 09-03-2021 | 13524