L'interculturalité, l'essence même de la Légion étrangère.

Sous l'angle de l'interculturalité, qui est l'essence même de la Légion étrangère, le général Mistral, COMLE, intervient lors du Colloque « L’interculturalité au prisme des actions militaires » organisé par l’EMSOME. Une intevention qui permet de dire ce qu’est la Légion aujourd’hui, comment elle fonctionne et comment on s’en sert.

 

La France est le seul pays au monde qui permet à des étrangers venant des cinq continents de porter ses armes en temps de paix en vertu d'une ordonnance vieille de 187 ans et dont ni les fondements ni les grandes lignes n'ont été remis en question depuis.

En quelques minutes, je vais vous dire ce qu’est la Légion aujourd’hui, comment elle fonctionne et comment on s’en sert.

 

La légion étrangère, c’est quoi aujourd’hui ?

Créée le 9 mars 1831, la Légion étrangère a traversé deux siècles jalonnés de guerres et de crises. Donnée à Isabelle II d'Espagne quelques mois après sa création puis recréée, gardienne de l'empire français, creuset de volontaires en 1914, un temps divisée par les vicissitudes de la deuxième GM, formant 40% du corps expéditionnaire français en Indochine, passée non loin de la dissolution à plusieurs reprises, reconfigurée, réorganisée, la Légion étrangère est toujours là, poursuivant une histoire au cours de laquelle elle a laissé 40 000 des siens tombés au champ d'honneur. Elle résulte d’un choix politique qui a traversé les régimes et les gouvernements.

Elle est la manifestation de la longue tradition d’emploi par la France des troupes étrangères, due à l'indépendance de la noblesse française qui a obligé les rois de France à recourir aux troupes étrangères. Ce sont les gardes suisses, fidèles d'entre les fidèles, depuis Charles VII, et les gardes du corps écossais qui furent incorporés dans la maison royale. A la fin du 18ème siècle, ce sont les Légions batave, allobroge, italique et polonaise levées par le gouvernement. Sous l'Empire, les étrangers sont éblouis par la gloire militaire de la France et l'on incorpore des Hanovriens, des Irlandais, des Portugais, des Espagnols, des Belges, des Hollandais.

Si ces bandes se dissolvent à la fin des guerres, certains de ces hommes s'établissent dans leur pays d'adoption. C’est donc dans la première moitié du 19ème siècle, en 1831 exactement, date de création de la Légion telle que nous la connaissons, que naquit l’idée de regrouper ces volontaires au sein d’une même organisation et de les employer loin de France. Ça tombait bien, commençait alors la conquête de l’Algérie.  

Forte de 9000 hommes aujourd'hui et de 11 régiments, s’appuyant sur un statut rénové en 2008 qui permet de servir à titre étranger, elle est de toutes les missions de l'armée française et nos compatriotes manifestent à son égard une réelle affection. 

 

Comment fonctionne-t-elle, en bref, comment on fait ?

(Comment se construit l’opérationnalisation de l’interculturalité à la Légion)

La Légion compte dans ses rangs 147 nationalités. Lorsque l’on sait que derrière ces nationalités vivent 147 cultures différentes au moins, une question vient naturellement à l'esprit : comment ces hommes peuvent-ils faire abstraction de leur culture et de leur histoire, au point de devenir des frères d'armes ? Anglais et Irlandais, Indiens et Pakistanais, Russes et Ukrainiens, Serbes et Allemands, Argentins et Anglais… Ailleurs, ils peuvent se détester, voire se faire la guerre mais à la Légion, ils s'entraident, vivent et travaillent ensemble, acceptent de mourir les uns pour les autres. Comment cette alchimie est-elle créée ?

Le système qui permet d’obtenir cela a été poli au fil du temps et il est le fruit d’une longue expérience, au cours de laquelle beaucoup de choses ont été tentées, abandonnées ou gardées. Finalement, la Légion étrangère est un laboratoire permanent des succès et des échecs de l’interculturalité dans l’entreprise !

Partant du principe que notre beau pays, la France, est toujours attractif, que son armée est une armée d’emploi et que la Légion a une réputation mondiale, voilà un asile où se pressent ceux qui fuient les crises économiques, humanitaires, politiques ou guerrières de notre monde, en échange d’un service militaire pour un drapeau qui n’est pas le leur.

Ce succès est dû au fait que le « système Légion » se pense comme une patrie : « Legio Patria Nostra » (c’est notre devise) et il en offre toutes les caractéristiques.

Une langue :

C'est le français d’abord, langue de travail et langue d'intégration.

Des valeurs :

Un riche patrimoine matériel ou immatériel :

Un musée de France, des salles d’honneur, un Foyer d’entraide dont tous les militaires à titre étranger d’active ou en retraite sont ayant-droit, une institution d’invalides, des cimetières, des carrés Légion, une maison de repos, un vin…

Des particularismes forts :  

Uniformes, spécificités et des rites. Un code d’honneur. Rites de table, rites de vie : Noël fête de la famille, Camerone fête de l’esprit de sacrifice, fête des Rois, fêtes régimentaires.

Une famille choisie :

Des relations intergénérationnelles et une prise en charge jusqu'à la mort. Il n’y qu’à la Légion que dans une même compagnie peuvent se côtoyer un légionnaire de 20 ans, et un autre de 61 ans, car il n’y pas de limite d’âge.

Enfin, c'est une culture certes choisie, mais qui s'impose aussi par une discipline forte et librement consentie : même règlement que pour l'armée française mais plus strictement appliqué. Par pour fanfaronner, non. Mais parce que 147 conceptions de ce qu'est une troupe d'élite, de l'exercice du commandement, des rapports humains, de la société, doivent se fondre sans concession dans le moule de la conception française de tout cela, pour le service de la France.

Servir à la Légion étrangère, c’est lutter chaque jour contre le racisme, le communautarisme, les préjugés en s’appuyant sur des valeurs de respect, d’entraide et de fraternité. 

Comment on s’en sert ?

(Comment s’applique cette interculturalité dans les opérations menées par la Légion étrangère)

Au combat, la Légion étrangère applique la doctrine et les savoir-faire de l’armée française. Elle a la réputation d’être une troupe disciplinée et résiliente.

La Légion possède une expérience inégalée dans la formation et l’entraînement d’étrangers, depuis 1831, principalement via des méthodes pragmatiques démonstratives et du drill, surtout le drill (quand on ne parle pas un mot de français, on fait à l’imitation et les gestes mille fois répétés apportent in fine la compétence) éprouvées au fil du temps et reconnues par nos différents partenaires, notamment à travers de nombreuses actions de partenariat opérationnel (Irak, Madagascar, Brésil, Surinam, Tunisie récemment, etc.).

Elle détient cette expertise pédagogique constamment réadaptée et maintenue à niveau, grâce au recrutement de plus d’un millier de jeunes étrangers chaque année. Tous les légionnaires sont issus du rang et appliquent aux nouveaux les méthodes dont ils ont bénéficié au cours de leur apprentissage.

Elle dispose d’une capacité à se passer de traducteurs, partout dans le monde et à fournir au pied levé des instructeurs parlant le dialecte considéré. Mais avec ses limites : la Légion n’oblige aucun de ses hommes à porter les armes contre son pays d’origine. C’est comme cela qu’en 1991, lors de la première guerre du Golfe, un adjudant-chef d’origine irakienne avait demandé à rester en base arrière au régiment : cela lui avait, bien sûr, été accordé. 

Et puis, la Légion possède une bonne connaissance de l’armement étranger, car nombre de nos hommes ont servi dans leur armée nationale puisque nous acceptons les candidats jusqu’à 40 ans.

Finalement, vous le voyez, dans les opérations qu’elle mène, la Légion étrangère applique l’interculturalité qu’elle s’applique à elle-même.

Mon mot de la fin est une citation d’un CCH qui nous quitte ce vendredi après 30 ans de Légion. Lors d’une table ronde avec des journalistes, il y a quelques années, il avait dit, avec son accent allemand savoureux : «  La Légion étrangère, c’est le seul endroit ou des hommes qui devraient se taper sur la gueule parce qu’ils se détestent, se tapent sur ventre pour rigoler, parce qu’ils sont camarades ».

Intervention du général Denis Mistral, lors du colloque du 28 novembre 2018

 

| Ref : 648 | Date : 28-11-2018 | 10144