La Légion étrangère. Tout le monde peut s'y présenter, sans autre qualification que sa ténacité et sa volonté de s'immerger sans jamais abandonner. D'éléments disparates, parlant un français approximatif, naît un esprit de corps réputé incassable, de Camerone à Bir Hakeim en passant par Tuyen-Quang. L'excellence par la fraternité en somme. En quoi ce modèle, [...] inspire-t-il l'université du XXIe ? C'est qu'il a été adapté par la fameuse et toute récente école 42, ovni universitaire dirigé par le pirate informatique Nicolas Sadirac et fondé par l'entrepreneur Xavier Niel. Or le classement est tombé récemment (1), cette cour des miracles, qui ne délivre pas de diplôme, qui méprise le magistral, où n'existe aucun professeur titulaire et qui est accessible sans le baccalauréat, vient d'être établie comme la plus performante au monde pour éduquer les programmeurs informatiques. Devant Polytechnique, devant CentraleSupélec, devant l'École normale supérieure, devant toutes nos grandes écoles et leurs concours en fait, il y a maintenant, dans un secteur absolument stratégique, cette subversive île aux pirates. Comme à la Légion.
Le « modèle 42 » démontre à quel point notre enseignement supérieur peut être réformé, et quelles réserves de performance il est possible d'y libérer. De même que pour apprendre une langue, pour apprendre la programmation informatique il n'y a rien de tel que l'immersion, le plus tôt, le plus longtemps et par la pratique. En la matière, il y a autant de différences entre 42 et l'université dominante qu'entre un séjour linguistique et le pathétique « my tailor is rich ». Car l'informatique appliquée, c'est l'épreuve du monde réel, impitoyable avec les dogmes technocratiques. Si ça marche, on garde, si ça ne marche pas, on arrête. Le style pédagogique de 42 c'est « la piscine », une immersion de plusieurs semaines, sans bouée, directement dans le code informatique, et uniquement dedans, de sorte que l'on pense, que l'on parle, que l'on dort et que l'on rêve informatique. Excellence assurée.
Il est possible – et urgent – de « pirater » l'éducation
Tout le monde s'en rend compte aujourd'hui : nous sommes entrés dans le XXIe siècle avec un système éducatif du XIXe. Sous la IIIe République en effet, l'enseignement officiel de la natation était délivré sur un tabouret. On en rit aujourd'hui, mais nos descendants, que diront-ils de notre enseignement des langues ? Et de notre enseignement de l'informatique ? Car on ne peut mépriser une méthode qui produit les meilleurs développeurs au monde. L'intelligence artificielle ? C'est du code informatique. Le big data ? C'est du code. Le jeu vidéo ? Encore du code. Les villes intelligentes ? Toujours du code. « Le logiciel, c'est le pétrole des années 1980 et 1990 », avait dit Steve Jobs à François Mitterrand. Pourquoi avons-nous attendu les années 2010 pour inventer les meilleures méthodes de l'enseigner ?
Avec notamment les travaux de la révolutionnaire Céline Alvarez, l'année 2017 nous rappelle qu'il existe des lois naturelles de l'apprentissage chez l'humain, et – plus grave – que notre enseignement ne les respecte pas. Il est possible – et urgent – de « pirater » l'éducation. Mais l'obstacle à l'agilité bien sûr, c'est la bureaucratie. Or, on sait que le stade bureaucratique est atteint dans une organisation quand la procédure y est plus importante que le résultat. Nos organisations éducatives d'État vont-elles prendre acte de leurs défaillances et revoir humblement leur copie ? Si elles ne sont pas des bureaucraties, elles le feront. Sinon, le temps les fossilisera. Comme les tabourets de nage.
(1) Classement composite développé par l'entreprise Codeingame, basé sur la résolution de problème, l'optimisation, la simulation multijoueurs et la logique, établi sur 700 universités et 13 000 étudiants testés. L'école 42 s'y classe notamment devant l'université d'État de San Jose, au cœur de la Silicon Valley, et devant l'Institut de technologie de Tokyo.
| Ref : 491 | Date : 07-02-2017 | 25554