1976-2016 : 40 ans d'opérations et d'entraînement.

Ravivons notre mémoire sur les guerres plus dures d’hier. Continuons sans relâche à nous préparer au combat : après les honneurs officiels, c’est le plus bel hommage que l’on peut et que l’on doit rendre à tous ceux “qui sont tombés au hasard d’un clair matin”.

Dans l’histoire de la Légion étrangère, alternent, au pas lent des jours ou des années, les joies et les peines, la gloire et la souffrance, la fête et la guerre. C’est bien sûr ce qu’écrivait il y a 3000 ans l’Ecclésiaste : “il y a un moment pour tout et un temps pour toute activité sous le ciel : un temps pour naître et un temps pour mourir… un temps pour pleurer et un temps pour rire… un temps pour la guerre et un temps pour la paix”. Mais c’est aussi ce qui distingue le légionnaire : le “ne pas subir” si cher au maréchal de Lattre, exprimé dans ce cas par l’abandon volontaire de tout pour venir vivre l’aventure exaltante des képis blancs. Cette aventure, le “hasard d’un clair matin” peut hélas la stopper trop tôt, comme pour nos six camarades du 2e REG, tombés en Maurienne le 18 janvier dernier : caporal-chef Lamarana, caporal Simi, caporal Palade, caporal Khapangi, caporal Halili, caporal Hetenyi. Morts ensemble sous l’avalanche, c’est ensemble, autour de votre drapeau, que vous avez été honorés par le général chef d’État major de l’armée de Terre, par votre régiment, par votre grande famille de la Légion, par vos camarades montagnards, et entourés par vos familles. Vous avez rejoint la cohorte de “nos camarades qui souriaient au destin”, comme nous le rappelle notre si beau chant des képis blancs. Dormez en paix. Vous resterez pour toujours dans nos mémoires.

“Que serait un homme sans mémoire ? Il marcherait dans l’oubli. Tout se tient dans la destinée humaine. Il faut croire à la force du passé, au poids du sang, des ans, à la mémoire des hommes. Les hommes qui construisent l’avenir sont ceux qui ont la plus grande mémoire… Le souvenir n’est pas une tristesse mais une respiration intérieure”. Ainsi s’exprimait le chef de bataillon Hélie Denoix de Saint-Marc au terme de sa vie. Cette ré exion profonde doit nous guider au cours de cette année 2016, marquée par le jubilé de la naissance à Loyada en février 1976 d’une nouvelle ère de
40 années d’opérations extérieures.

Depuis 40 ans, sur tous les théâtres où elle a été engagée, la Légion étrangère a tenu à rester digne de l’héritage glorieux légué par ses anciens du Mexique, du Tonkin, du Maroc, du Levant, des deux guerres mondiales, et des guerres d’Indochine et d’Algérie. Elle se souvient aujourd’hui de ces faits d’armes de ces milliers d’étrangers anonymes venus servir la France, et poursuit inlassablement son oeuvre en mémoire des 40 000 des siens tombés pour la France : Loyada, Tchad, Zaïre, Liban, Centrafrique, Gabon, Koweit, Rwanda, Djibouti, Ex-
Yougoslavie, Somalie, République du Congo, Côte d’Ivoire, Afghanistan, Mali, Sahel…

Le succès incontesté de ces opérations s’explique d’abord et surtout par la continuité réelle et tangible entre les guerres d’Indochine, d’Algérie, l’effort porté sur l’entrainement dans les années 60 – 70, et la reprise, sur des bases solides, des engagements à Djibouti, au Tchad et au Zaïre notamment.

Le poids du sang n’est pas un vain mot. Il est considérable : la Légion a perdu en Indochine près de 12 000 des siens lors de ce conflit, soit en moyenne 4 morts par jour pendant huit ans. En Algérie, ce sont près de 2 000 légionnaires de tous grades qui ont laissé leur vie, soit en moyenne 4 morts par semaine pendant huit ans. Depuis, les guerres passées ont laissé la place à des engagements bien moins meurtriers. Ces 40 dernières années, la Légion a perdu 70 des siens en opérations, et un peu plus de 90 des siens à l’entrainement, en service aérien commandé ou en service commandé, soit une moyenne de 4 morts par an. Des deuils douloureux nous ont marqués : je ne peux tous les citer, mais Hol-Hol, le Mont Garbi, et aujourd’hui la Maurienne, marqueront des générations de légionnaires pour encore
longtemps.

Loyada, Tacaud, Bonite, sont le fruit de 15 années d’un entraînement rigoureux, intensif, inventif, mené après la guerre
d’Algérie : spécialisations des compagnies pour le 2e REP et un an d’opération au Tchad pour ce régiment en 1970, création du Groupement opérationnel de la Légion étrangère au 2e Étranger, nombreux exercices en terrain libre pour le 1er REC, travaux gigantesques et appropriation de la forêt en Guyane, aguerrissement, travaux, et nomadisations à Djibouti, etc… Nos anciens, guerriers expérimentés, ont préparé alors les succès futurs, pour cette nouvelle génération de légionnaires, instruits, entraînés et aguerris, qui répondirent présents lors du baptême du feu de ces nouvelles missions inopinées.

En ces temps incertains, sachons aujourd’hui en 2016 préparer les engagements de demain. L’expérience de 40 années d’opérations extérieures est bien présente. Ravivons notre mémoire sur les guerres plus dures d’hier. Continuons sans relâche à nous préparer au combat : après les honneurs of ciels, c’est le plus bel hommage que l’on peut et que l’on doit rendre à tous ceux “qui sont tombés au hasard d’un clair matin”.

Les légionnaires ? “Ils sont aussi solides au feu les uns que les autres !”
Duc d’Aumale - 1844

 

Par le Général de division Jean Maurin, commandant la Légion étrangère (Képi-blanc magazine N° 784)

| Ref : 431 | Date : 02-02-2016 | 25784