Elle n'avait que de bons soldats !


Qu’est-ce qu’un bon soldat ?

La 3e du 1er est morte, mon colonel, mais elle en a assez fait pour que, en parlant d’elle, on puisse dire : elle n’avait que de bons soldats !” Cette magnifique phrase a été écrite par le caporal Berg, qui fut désigné par les autres survivants du combat de Camerone pour adresser le 1er mai un compte-rendu de la bataille au colonel Jeanningros. Elle nous amène d’emblée à réfléchir sur ce que et sur qui sont ces bons soldats de Camerone.

Qu’est-ce qu’un bon soldat ?
Ardant du Picq, mort pendant la guerre de 1870 des suites de ses blessures, voulut “étudier l’homme dans le combat, car c’est lui qui fait le réel” : “Ce qui constitue surtout le soldat, le combattant capable d’obéissance et de direction dans l’action, c’est le sentiment qu’il a de la discipline, c’est son respect des chefs, sa confiance en eux, sa confiance dans les camarades, sa crainte qu’ils puissent reprocher de les avoir abandonnés dans le danger, son émulation d’aller où vont les autres, sans plus trembler qu’un autre, son esprit de corps en un mot”.
Cette définition, qui est le fruit de l’expérience d’un grand chef militaire, est très juste, mais elle reste cependant descriptive de l’état du bon soldat. Il est nécessaire à mon sens d’y ajouter la dimension, du “pourquoi” du passage à l’acte héroïque des bons soldats.

Ce “pourquoi”, c’est d’abord pour le légionnaire l’identification personnelle à une famille, dans laquelle il se reconnait progressivement et avec effort, à laquelle il donne tout, et pour laquelle il ne lâche jamais rien. Cette famille lui donne comme vertus essentielles l’honneur et la fidélité. Dans le Testament de Camerone, le général Olié aborde cette question de l’honneur légionnaire. L’honneur dicte durement les limites du bien et du mal, et détermine le devoir du légionnaire : agir par devoir, c’est-à-dire en faisant violence à sa propre nature. “C’est à ce degré élevé que se réalise la mue de l’homme en soldat, quand, libéré par son adhésion, il ne ressent plus sous le képi blanc les contraintes de la discipline mais perçoit en revanche la fierté de son appartenance à la Légion, fierté faite de l’estime de soi et de celle de ses pairs, et qui implique l’acceptation totale du devoir et la détermination d’être toujours digne du patrimoine de gloire que ses anciens ont légué”.

Ce “pourquoi”, c’est aussi la fidélité, comme le souligne à nouveau le général Olié, car “elle aide l’homme à rester sur la route choisie malgré les obstacles du chemin. Fidélité envers ce que l’on veut devenir et être, fidélité envers ses camarades, fidélité envers ses chefs… Plus accessible que d’autres qualités, elle caractérise le bon légionnaire “honnête et fidèle” chanté par le 1er Étranger de Cavalerie”.

Ce “pourquoi” ne s’inculque pas en un jour. Nos anciens l’avaient compris, quand en 1937 ils éditèrent le mémento du soldat de la Légion étrangère, afin “de lui donner tout ce dont il a besoin pour tenir sa parole de soldat”. Aujourd’hui, son successeur, le Code d’honneur du légionnaire, lui dicte les limites du bien et du mal, et lui détermine son devoir.

Qui étaient ces bons soldats ?
Ils avaient d’abord un grand chef : le capitaine Danjou, désigné pour la mission, mais dont le caporal Maine dira : “Je le reverrai toujours, avec sa belle tête intelligente, où l’énergie se tempérait si bien par la douceur…Il nous appelait par nos noms.” Pour le caporal Berg, “le capitaine Danjou était splendide par son ardeur et son sangfroid. Il allait d’un côté à un autre et sûrement, si l’un d’entre nous n’avait pas eu le courage, il l’aurait acquis rien qu’en le regardant”.

Les chefs de section étaient solides et courageux : élève indiscipliné du Prytanée militaire de la Flèche, engagé à la Légion étrangère en 1854, combattant à Alma, Sébastopol et Magenta, le sous-lieutenant Vilain a été tué d’une balle en plein front, en traversant la cour de l’hacienda après avoir encouragé les légionnaires de la brèche sud-est à tenir leur position. Le souslieutenant Maudet était “un de ces vieux braves comme on en choisissait alors pour porte drapeau” (général Zédé). Le caporal Berg écrira de lui : “C’était magnifique de voir le sous-lieutenant Maudet, seul à la tête de quelques hommes, tirer au fusil comme un soldat quelconque. Il ne voulait pas se rendre, et au moment de tomber, il venait de faire feu”.

Parmi les sous-officiers, le sergent-major Tonel et le sergent Germeys ont fait la guerre de Crimée et la Campagne d’Italie. Les sergents Morzycki et Schaffner sont anciens d’Italie. Seul le sergent Palmaert, 21 ans, va connaître le baptême du feu à Camerone.

Les légionnaires ont à peine plus de 25 ans en moyenne. Deux d’entre eux n’ont pas 18 ans. Les plus anciens, plus de quarante. Un tiers de la compagnie a entre 3 et 9 mois de service. Le deuxième tiers a entre un et 4 ans de service, avec pour certains, une expérience du combat. Le 3e tiers, le plus homogène est constitué de vieux soldats de la guerre de Crimée ou de la Campagne d’Italie. L’amalgame entre jeunes et anciens est une vraie richesse pour la compagnie. Maintenu jusqu’à nos jours, il est un gage de succès à la Légion étrangère, car non seulement il permet le transfert des savoir-faire de l’ancien au jeune au quotidien, mais surtout, c’est lui qui donne au plus jeune le supplément d’âme de la famille légionnaire.

Parmi ces bons soldats, certains ont connu la deuxième chance offerte par la Légion : le caporal Berg, ancien bigor qui a accédé à l’épaulette en Crimée au 1er Zouaves, a participé à l’expédition de Syrie, puis a été traduit devant un conseil d’enquête suite à des écarts. Il a démissionné et s’est engagé à la Légion étrangère.

L’héroïsme au combat touche également des légionnaires lourdement sanctionnés pour leurs méfaits en service : Daglinks condamné à un an de prison pour refus d’obéissance en 1861 ; Constantin, condamné une première fois, en décembre 1855, à 7 ans de travaux publics pour désertion. Gracié en 1859, il a été condamné à 2 ans de prison, en février 1860, pour “vente de petit équipement et disparition d’effet d’habillement, de grand et de petit équipement et de campement”. Il rechutera, après sa libération par les Mexicains. Catenhusen, huit ans de service dont quatre passés sous les barreaux, pour “outrage à supérieur par la parole et le geste et menaces”.

On peut donc faire des miracles au combat, avec des serviteurs qui chutent : il faut avant tout qu’ils aient eux-mêmes la volonté et la conviction de s’identifier comme de vrais légionnaires.

Que nous ont légué ces bons soldats ?
Ils ont donné Camerone, à la Légion étrangère et aux armées françaises : le nom de la célèbre hacienda est devenu symbole des plus hautes vertus militaires, dont la première, la fidélité à la parole donnée. Les hommes du capitaine Danjou ont eu confi ance dans la mission reçue. Bien qu’isolés, leur détermination a été inébranlable. Ils n’ont pas cédé, ils ne se sont pas laissé impressionner par l’écrasante supériorité du nombre. Ils ont eu le courage de donner leur vie pour la réussite de la mission. Mais leur plus grande victoire est le respect qu’ils ont inspiré à l’ennemi : “On ne refuse rien à des hommes comme vous !”. Ce testament qu’ils nous ont légué, c’est le triomphe du “malgré”, comme le dit clairement le général Olié : “Rien de grand ne s’accomplit que “malgré”, malgré les obstacles dont le plus sévère est l’égoïste instinct de conservation. Tout le courage du soldat est fondé sur le triomphe de ce “malgré. Ce testament s’est concrétisé maintes fois lors des combats ultérieurs dans lesquels les légionnaires ont voulu se montrer dignes de leurs Anciens. Il reste d’actualité et doit nous animer, comme notre tradition vivante.


Joyeux Camerone !

Par le Général de division Jean Maurin commandant la Légion étrangère (Képi-blanc Magazine N°776)

| Ref : 394 | Date : 30-04-2015 | 25290